Baisse de la vente de champagne : vers une crise "longue et profonde" si aucune solution n'est trouvée pour les stocks, alerte un spécialiste

Il y a 3 années 113

Les stocks "énormes" risquent de déséquilibrer tout le secteur viticole, estime le journaliste spécialisé Antoine Gerbelle .

La filière du champagne a vendu 245 millions de bouteilles l'an dernier, soit une baisse de 18% à cause de la crise du Covid-19. Invité sur franceinfo mardi 26 janvier, Antoine Gerbelle, journaliste et spécialiste du monde du vin, estime que "les grandes maisons peuvent supporter" ces pertes, mais alerte sur "une crise très importante si on ne trouve pas rapidement des solutions pour vendre les stocks".

franceinfo : La Champagne a subi une baisse de 18% de ses ventes l'an dernier, est-ce que les maisons de champagne ont les épaules pour encaisser ce genre de crise ?
 
Antoine Gerbelle : Effectivement, ce n'est pas une surprise puisqu'en mai les professionnels parlaient de moins 30%. Les grandes maisons peuvent effectivement supporter. Mais vous savez, la Champagne, c'est un équilibre très subtil entre des producteurs, majoritairement des vignerons, et des maisons de champagne, des négociants qui achètent le raisin des vignerons. Et quand aujourd'hui, on vous dit que c'est moins 30% ou moins 15% de production, ça veut dire qu'ils vont négocier très durement à la baisse l'achat des raisins. Cela va avoir un impact très important sur toute la région. Les vignerons vont souffrir. En champagne, le kilo de raisin est acheté aux alentours de six euros, ce qui est colossal, mais ce qui est normal, puisque c'est une boisson très prisée, très recherchée. On peut assister à une baisse très importante. On ne parle pas encore de baisse du kilo, pour l'instant, on parle de baisse de rendement. Et déjà, en 2020, la récolte a été serrée puisque qu'on était à 8 000 kilogrammes/hectare et peut-être qu'on sera 7 000 kilogrammes/hectares en 2021.

Nous sommes en train de perdre le goût de boire du champagne ou c'est purement conjoncturel, à cause de la crise sanitaire qui nous a empêchés de nous en procurer ?
 
C'est assez complexe. Concrètement, aujourd'hui, on ne fait plus la fête, on ne se réunit plus. Imaginez tous ces mariages, tous ces anniversaires qui n'existent plus et donc on ne débouche plus de bouteille. Imaginez aussi tous ces aéroports avec les duty-free et les produits de luxe vendus où le champagne est leader et très recherché. Tout ça a momentanément disparu, mais ça va revenir, ça va repartir. Mais si on analyse plus en profondeur, il faut savoir que depuis 2017, les chiffres de champagne sont en baisse. On a atteint un record de commercialisation qu'on ne retrouvera jamais. En 2016, on a vendu 339 millions de bouteilles. Là, on est seulement à 245 millions. Donc, il y a quand même un marché qui s'érode et il y a presque un risque de crise à la "subprime" en ce moment en Champagne.

"Il y a des stocks énormes, il y a des capitaux énormes et si on ne trouve pas rapidement des solutions pour amortir tout ça, il peut y avoir une crise très importante, avec notamment des déstockages et des prix bradés."

Antoine Gerbelle

à franceinfo

Pour autant, les très grandes maisons ne peuvent pas baisser leurs prix. Ils ont un coût marketing, un coût publicitaire. Tout ce système repose sur un équilibre fragile. Mais si vous démontez tout ça, si vous commencez à casser vos prix, si vous "cassez le luxe", puisque c'est de ça dont il s'agit, alors c'est une crise qui s'annonce très profonde et très longue.

On imagine que le Brexit ne va pas arranger les choses ?
 
Ça n'arrange pas les choses, oui. Mais il faut garder à l'esprit que le marché anglais pour le champagne, est un marché très mature, très ancien, les liens sont très forts entre les maisons, qui ont des distributeurs en Angleterre depuis longtemps. Tout est pensé depuis très longtemps, lorsque le Brexit était dans les esprits en Grande-Bretagne, les Champenois discutaient déjà depuis très longtemps de tout ça. Donc, il ne va pas y avoir véritablement de bouleversements, hormis peut-être des mouvements de prix ou des taxes qui peuvent arriver. On a vu ce qu'il s'est passé avec Trump, qui, sur un coup d'humeur pour régler des problèmes aériens entre l'Europe et les Etats-Unis, a décidé que des alcools dont le champagne pouvaient être taxés. Donc, on peut aussi imaginer ce genre de situation avec l'Angleterre, mais c'est une situation beaucoup plus ancienne et beaucoup plus mature entre l'Angleterre et la Champagne.

Le marché du champagne se transforme, mais s'adapte-t-il aux nouvelles préoccupations écologiques ?
 
Lentement, mais sûrement. C'était une région française qui était très lente à se mettre à cette toute nouvelle approche écologique. Mais ce qui est en train de se faire en ce moment est très important. Ceux qui se portent le mieux en Champagne aujourd'hui, c'est ce que l'on appelait avant le champagne de petits vignerons. Aujourd'hui, vous pouvez retirer "petits" parce que le champagne des petites propriétés se porte très bien. Ces champagnes sont en train de reconquérir un public qui avait abandonné les grandes marques, ce sont des amateurs de vin qui redécouvrent le champagne. Et cela est plutôt bon signe pour la région.

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