« Les professionnels de la montagne ont le sentiment d'avoir été floués »

Il y a 3 années 520

Mardi soir, devant sa télé, Dominique Marcel était encore un peu partagé. Le directeur général de la Compagnie des Alpes, qui gère onze stations de ski (Les Arcs, La Plagne, Tignes, Val d'Isère, Méribel, Serre-Chevalier…) et des parcs d'attractions (Parc Astérix, Futuroscope…), espérait encore un peu. Emmanuel Macron venait de dire qu'il lui semblait impossible d'ouvrir les remontées mécaniques à Noël, ce qui laissait entendre que ce serait possible… Le surlendemain, c'est la douche froide.

« Toutes les remontées mécaniques et les équipements collectifs seront fermés au public », assure le Premier ministre, Jean Castex, tout en incitant les Français à se rendre dans les stations « pour profiter de l'air pur de nos belles montagnes »… Le patron du leader mondial des domaines skiables dit ne pas comprendre les « incohérences » du gouvernement, ni sa « précipitation » à vouloir interdire le ski alors que la situation sanitaire semble s'améliorer. Dominique Marcel s'inquiète aussi, évidemment, des conséquences sur les résultats de son entreprise. « Noël, c'est 15 à 20 % de l'activité de la Compagnie des Alpes qui est sacrifiée », dit-il. Le directeur général de la Compagnie des Alpes continue toutefois à espérer un peu. Il s'explique.

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Le Point : Les stations de sport d'hiver ne sont pas tout à fait, aux yeux du gouvernement, des villages comme les autres. Comprenez-vous ce point de vue ?

Dominique Marcel : Qu'est-ce qui distingue une station de ski d'un autre village de France ? Certes, il y aura à Noël un peu plus de monde dans les rues des stations qu'à l'habitude, mais la population touristique à Noël y est surtout familiale, peu de jeunes viennent entre eux. Et la fréquentation reste limitée. Le gros des touristes est là lors des vacances de février et Pâques. On nous dit : « Oui mais les gens viennent pour faire la fête, notamment le soir du 31 décembre ». Mais je rappelle que les bars, les restaurants et les discothèques resteront fermés, dans les stations comme partout ailleurs en France. Tout cela est surréaliste ! Il y a aussi un problème de cohérence entre les décisions annoncées : comment expliquer que les théâtres et les cinémas, espaces fermés, rouvrent, ce dont je me réjouis, alors que les stations de sport d'hiver ne le peuvent pas ? Nous allons ouvrir le musée Grévin, que nous gérons, mais comme vous le savez il n'offre pas tout à fait les mêmes espaces qu'à Tignes ! Autre incohérence : le gouvernement incite les gens à aller malgré tout dans les stations, la SNCF annonce donc que les TGV seront assurés, mais vous croyez vraiment que les risques de contamination sont moindres dans une rame bien fréquentée que dans une station de ski ?

Le risque de contamination, qui explique cette fermeture, n'est-il pas aussi présent sur le domaine skiable, et en particulier dans les files d'attente des remontées mécaniques ?

Dans toutes les réunions auxquelles nous avons assisté avec les autorités, on nous a dit que les protocoles sanitaires étaient très bons. C'est ce qui explique l'ampleur de notre déception. Mais nous regrettons aussi l'absence de concertation. Nous avions plaidé auprès des autorités publiques pour qu'aucune décision ne soit prise avant deux à trois semaines, le temps d'apprécier l'évolution de la situation sanitaire, qui est plus favorable jour après jour. Nous étions prêts à ouvrir les stations, nous pouvions appuyer sur le bouton vers le 15 décembre, selon l'état de l'épidémie. On ne comprend donc pas cette précipitation à refuser l'ouverture. Il est vraiment encore temps d'attendre alors que la situation ne cesse de s'améliorer. L'ensemble des professionnels de la montagne a le sentiment d'avoir été floué.

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Une autre explication tient dans l'encombrement des hôpitaux susceptibles d'accueillir les skieurs blessés. En Savoie et Haute-Savoie, le nombre de patients atteints par le Covid est en effet important…

La grande majorité des skieurs blessés ne sont pas orientés vers les hôpitaux qui s'occupent de ces malades, et pratiquement jamais en réanimation. Ce sont avant tout les cabinets médicaux qui les prennent en charge. Nous avons par ailleurs discuté avec les cliniques privées et les autres établissements de santé privés de la région afin qu'ils puissent accueillir les blessés des pistes de ski. Encore une fois, il aurait été judicieux d'attendre quelques semaines afin de prendre une décision au regard de la situation dans les hôpitaux.

Le gouvernement explique qu'il est nécessaire d'harmoniser les décisions au niveau européen, afin que tous les pays soient sur la même ligne. Or l'Allemagne n'entend pas rouvrir ses stations à Noël…

Pour l'heure aucune décision n'a été prise. La France veut peut-être prendre le leadership européen sur cette question, mais l'Allemagne n'a pas à donner le la. Le poids de ce pays dans les activités liées au ski est faible, à la différence de l'Autriche et de la France, qui sont les deux pays de l'Union européenne où le nombre de journées/skieur est le plus important.

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Si les parcs d’attractions restent fermés lors des prochaines vacances, ce sera la double peine.

Les parcs d'attractions sont pour le moment soumis au même régime de fermeture. Espérez-vous, là aussi, faire changer d'avis le gouvernement ?

Oui, nous espérons pouvoir les rouvrir à l'occasion des fêtes. Jean-Baptiste Lemoyne [secrétaire d'État chargé du Tourisme, NDLR] est sensible à notre préoccupation. Là encore, je ne comprends pas la logique de les maintenir fermés : au Parc Astérix, la densité est de 40 mètres carrés pour 10 000 visiteurs, soit beaucoup plus que la norme de 8 mètres carrés par client imposée dans les autres activités… Si les parcs d'attractions restent fermés lors des prochaines vacances, ce sera la double peine. L'an dernier, le Parc Astérix et le Futuroscope ont accueilli 250 000 personnes à cette période. Nous demanderons plusieurs formes de compensation. Mais pour l'heure, nous continuons à nous battre. Nous espérons toujours.

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