Télétravail: les salariés peuvent se voir privés de tickets-restaurants

Il y a 3 années 397

Une décision de justice rendue le 10 mars exempt les employeurs de cette obligation, car leurs salariés n'ont plus à déjeuner hors de leur domicile.

Les salariés en télétravail ont-ils le droit à leurs tickets-restaurants ? C'est la question à laquelle a dû répondre le tribunal de Nanterre le 10 mars dernier, alors que la direction de l'entreprise Malakoff Humanis avait décidé de retirer ce privilège aux salariés qui travaillent depuis leur domicile.

Quelle législation encadre les tickets-restaurant ?

Aucun texte de loi n'encadre précisément cette question, et les juges ont rendu une décision inédite pour ce cas précis, en estimant que rien n'obligeait cette entreprise à accorder des titres-restaurants à leurs salariés qui peuvent déjeuner à domicile.

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Dans le cas de Malakoff Humanis, une partie des salariés a été placée en télétravail au début de la crise sanitaire, et une autre a continué à travailler sur le site. Les premiers se sont vus retirer leurs titres-restaurants, quand les seconds ont pu continuer à profiter de leur cantine d'entreprise. L'article 4 de l'accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 19 juillet 2005 précise pourtant que «les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l'entreprise.» Mais c'est cette notion de «situation comparable» entre les salariés au bureau et leurs collègues en télétravail qui a motivé la décision des juges.

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Est-ce une obligation légale?

«Le titre-restaurant est un avantage consenti par l'employeur qui ne résulte d'aucune obligation légale», a d'abord rappelé le tribunal de Nanterre. Les juges ont ajouté qu'il n'était «pas contestable» que les télétravailleurs bénéficient de titres-restaurants, mais seulement si leurs conditions de travail étaient équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d'entreprise. Or l'objectif du titre-restaurant est précisément de «permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile», explique le tribunal de Nanterre, qui a jugé qu'en l'absence de ce surcoût, l'entreprise n'avait pas à distribuer de titres-restaurants à ses salariés.

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Cette décision ne va pas dans le sens des recommandations du gouvernement à télétravailler au maximum durant la crise sanitaire, comme le note l'avocat en droit du Travail Eric Rocheblave. «Le tribunal de Nanterre est allé à l'inverse des positions de l'Urssaf et du ministère du Travail , qui considèrent tous les deux que les télétravailleurs doivent bénéficier de ces titres-restaurants au même titre que les salariés au bureau, explique l'avocat. Deux institutions étatiques sont donc contre cette décision de Nanterre, on peut y voir la position du gouvernement qui veut encourager au maximum le télétravail, c'est très lié au contexte.»

Le cas de Malakoff Humanis peut-il faire jurisprudence ?

N'importe quelle entreprise pourra-t-elle désormais priver ses télétravailleurs de titres-restaurants ? C'est bien possible. «La Cour d'Appel de Nîmes avait déjà statué en 2012 qu'une entreprise n'était pas obligée de distribuer des titres-restaurants à ses salariés qui habitent à moins de 10 minutes de leur entreprise», poursuit Eric Rocheblave. Et Kevin Bouleau, avocat en droit du Travail à Paris, d'ajouter que la Cour d'Appel de Riom avait également jugé en 2018 que les salariés en télétravail ou au bureau n'étaient pas «dans une situation comparable». Les entreprises pourraient donc se fonder sur ce «courant de jurisprudence» pour retirer aux télétravailleurs leurs titres-restaurants, estime Eric Rocheblave.

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D'autres questions risquent bien vite de s'inviter à ce débat : «Quelle position adopteront les entreprises concernant les salariés hors de leur domicile, comme dans un espace de coworking ?», note avec malice Kevin Bouleau. Pour l'instant, cette question-là n'est pas tranchée.

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