EXCLUSIF. Perquisitions dans deux résidences de Bernard Tapie

Il y a 3 années 650

« Ouvrez ou on défonce la porte. » « Défoncez-la si vous voulez. » Ce n'est pas du Audiard, pas même du cinéma, mais l'échange musclé entre la quinzaine de policiers venus mercredi 17 mars au matin perquisitionner l'hôtel particulier de Bernard Tapie, sis 52 rue des Saints-Pères à Paris, et le maître des lieux. Les esprits se sont quelque peu échauffés, avant que l'escouade finisse par entrer. Mandatés par un juge belge, ces enquêteurs venus de Belgique – à l'exception de trois d'entre eux – veulent saisir des documents concernant les actifs, la gestion et les comptes de la société de droit luxembourgeois SREI filiale du groupe Bernard Tapie et propriétaire de la villa tropézienne La Mandala. Au même moment, une autre équipe d'enquêteurs fait irruption dans ladite villa. Attendu à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière où il est soigné pour son cancer, Bernard Tapie quitte son domicile non sans avoir demandé à sa femme Dominique, à sa fille ainsi qu'à son gendre d'accompagner les enquêteurs et de répondre à leurs questions.

À son retour de l'hôpital en début d'après-midi, les policiers sont encore là. Ils passent en revue une série de documents dans le bureau de l'ancien président de l'OM. Ils lui annoncent qu'ils vont saisir les données de ses téléphones ainsi que son ordinateur personnel. Calmement, Tapie leur précise que celui-ci contient ses complexes ordonnances pour lutter contre son cancer ainsi que l'agenda de ses prochains rendez-vous avec ses médecins. « Je veux souligner l'humanité et la compréhension de ces policiers. Ils sont partis avec le matériel, ont copié ce qui les intéressait, mais, dans la soirée, ma fille a pu récupérer mon ordinateur. » Par l'intermédiaire de leurs collègues de Paris avec lesquels ils sont en liaison, les enquêteurs à Saint-Tropez s'enquièrent de la disparition de quatre tableaux signés Raoul Duffy et, surtout, du contenu d'un coffre-fort. Bernard Tapie demande à parler au procureur présent sur place puis au commissaire de police. Ni l'un ni l'autre ne souhaite entendre « en direct » ses explications et préfère lui parler par l'intermédiaire du commissaire parisien. Ce que celui-ci leur répercute est simple : le coffre est vide et les Duffy sont comme tous les ans entre septembre et juin protégés dans un lieu sûr. Sceptiques, les enquêteurs belges vont néanmoins découper au chalumeau la chambre forte pour constater… qu'il n'y a rien dedans !

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Des valorisations supérieures aux estimations

Bref, après une journée de perquisition dans les deux résidences du couple Tapie, aucun document, aucune pièce intéressante n'a été saisi. La justification de ces deux spectaculaires perquisitions est à rechercher dans le labyrinthique dossier Adidas-Crédit lyonnais-CDR. Le 7 juillet 2008, un tribunal arbitral condamne le Consortium de réalisation à verser à Bernard Tapie 403 millions d'euros, dont 45 millions d'euros à titre de préjudice moral. Deux cent quatre-vingts millions seront effectivement encaissés par les sociétés du groupe une fois remboursées les dettes fiscales et sociales. Cette sentence vient solder le conflit issu de la vente en 1993 pour 2,085 milliards de francs d'Adidas. Le lendemain, l'équipementier sportif sera revendu 4 milliards à Robert Louis-Dreyfus, puis introduit en Bourse pour une valeur de 12 milliards deux ans plus tard. Les juges-arbitres (Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup) ont estimé que Tapie avait été floué par sa banque, qui avait sciemment sous-estimé le prix de vente initial d'Adidas. Quelques années plus tard, cet arbitrage a été annulé et s'est ensuivi un interminable conflit aux ramifications complexes.

Au point où les procédures juridiques sont rendues, après de nombreux allers-retours devant les tribunaux civil ou pénal où Tapie a tantôt été relaxé, ou condamné, et le CDR tente de récupérer coûte que coûte les sommes qui lui seraient dues (qu'il estime aujourd'hui à plus de 585 millions d'euros, en tenant compte des intérêts et des pénalités de retard, soit plus du double de ce qu'a vraiment touché Tapie) en entreprenant des procédures dans les pays où sont logées les filiales du groupe. Ainsi, en France, en Grande-Bretagne et en Belgique, où sont immatriculées GBT Holding et SREI, société qui contrôle la villa de Saint-Tropez, le CDR réclame les 585 millions. « Une dette qui s'aggrave de plus de 90 000 euros chaque jour », précise même François Lemasson, président du CDR, car elle « continue de s'accroître tous les jours au taux d'intérêt légal plus 5 points ».

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La Mandala sur le point d'être vendue

Outre-Manche, devant l'étrangeté d'une procédure qui vise à demander à un débiteur trois fois la même somme, les autorités judiciaires ont mis le dossier en sommeil. Pas en Belgique, alors que, à la demande de Bernard Tapie et de ses avocats, l'ensemble des actifs de son groupe a été ramené dans une structure française afin de permettre à l'homme d'affaires de rembourser ses dettes, de montrer à la justice qu'il ne tente pas de se soustraire à ses obligations et pour rendre plus facilement cessibles ses avoirs. Ce plan a été validé en France, mais le liquidateur mandataire social belge ne s'y résout pas et, encouragé par le CDR, continue de réclamer sa créance sur une société qui, de fait, n'est plus de son ressort. Et voilà pourquoi des enquêteurs belges accompagnés par des confrères français, sur injonction d'un juge belge et validation par le juge Marc Sommerer, ont fait irruption en milieu de semaine dans les deux propriétés de Bernard Tapie.

Selon nos informations, l'hôtel particulier de la rue des Saint-Pères a déjà été vendu et La Mandala, qui a connu d'importants travaux ces derniers mois, devrait connaître le même sort d'ici à quelques semaines. Le produit de ces cessions servira à rembourser les dettes de l'homme d'affaires. Ces gesticulations judiciaires sont donc inutiles. Tous les actifs (biens immobiliers, comptes en banque, actions…) ont été intégralement scannés et leurs valeurs réelles semblent même supérieures aux expertises. La valeur du groupe La Provence, dont 12 % ont été cédés à Xavier Niel, ou celle de son immobilier marseillais, également cédé pour 35 millions d'euros à Constructa, ont agréablement surpris les spécialistes. Le journal marseillais est désormais dans une situation financière enviable, d'autant que Tapie ne s'est pas versé un euro de dividende.

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La stratégie du CDR reste un mystère. Créé en 1995 pour une durée initiale de 5 ans, il existe toujours 26 ans après et sa seule mission semble être de pousser Bernard Tapie à la ruine. Ainsi, pour être certain qu'il ne pourra pas rembourser, tous ses fonds sont bloqués y compris les liquidités qu'il pourrait verser tout de suite. Quand Bernard Tapie arrive devant la cour d'appel pour soutenir son plan, le parquet et le CDR expliquent : « Vous ne pourrez pas payer les échéances parce que je vous ai saisi les fonds ! ! » Cette fois, sur la villa La Mandala Bernard Tapie dit : « J'ai une offre très intéressante me permettant de payer le CDR. » Or, celui-ci lance des procédures complexes en Belgique et soutient un liquidateur belge qui a décidé de vendre à part la propriété de Saint-Tropez et qui s'oppose à ce que l'actif soit ramené dans le giron des sociétés françaises. Une impasse kafkaïenne !

Joint par nos soins, Bernard Tapie s'est contenté d'une brève déclaration : « La Belgique m'a apporté ma plus grande joie de ces dernières années grâce au professeur Éric Van Cutsem et son équipe de l'hôpital de Louvain qui m'ont sans doute offert six mois d'espérance de vie supplémentaires grâce à leurs traitements. Mais aussi ma plus grande déception : cette procédure incompréhensible poussée par un administrateur judiciaire féru d'immobilier, mais beaucoup moins de l'autorité de la chose jugée. »

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